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ment célèbre de la cause première si imposant qu'il faut avoir pris fortement
position dans la logique stricte si l'on veut le repousser tout à fait. Voici
l'argument. Un état de choses n'aurait pu exister si un autre état de choses ne
l'avait précédé et si un autre état n'avait précédé celui-là. Ainsi sans fin. Bon.
Mais dès qu'un état de choses existe, toutes ses conditions d'existence,
entendez bien toutes, sont données ou ont été données ; le compte en est fait,
achevé, terminé par l'existence même de la chose. C'est donc dire oui et non à
la fois que de dire que ces conditions sont un infini, ce qui veut dire un
inachevé.
L'idée qu'avant une cause il y en a une autre, et ainsi sans fin, ne suffit
donc pas. Ce qu'on exprime aussi en disant que l'infini actuel ou réalisé
implique contradiction. Il faut donc une cause, elle-même sans cause, c est-à-
dire première, qui achève la série des conditions ; car enfin l'état actuel existe,
il n'attend pas. Il porte avec lui ses causes suffisantes. À partir de là les
conclusions s enchaînent, soit que l'on admette la cause sans cause comme
unique et divine, soit que l'on réserve simplement la place pour une cause non
causée qui serait liberté, et vraisemblablement multiple comme la morale le
veut. Mais laissons les conséquences ; voyons l'argument.
Première remarque, on arrive ainsi par le principe même que tout a une
cause, à nier ce principe, puisqu'on arrive à une cause elle-même sans cause ;
preuve qu'il y a ici quelque piège des mots. Deuxièmement, si l'on prend la
relation de cause dans la représentation des changements, on s'aperçoit que
l'état des choses qui suit résulte d'un état immédiatement précédent, aussi
voisin de l'autre qu'on voudra, ou, autrement dit, qu'il y a continuité dans le
changement, comme il apparaît pour le système planétaire où, bien clairement
tout état de ces corps gravitant dépend d'un autre état infiniment voisin, et
celui-là d'un autre. Voyez comme le langage ici nous trompe. Je dis un état et
un autre, mais entre les deux j'en trouverai de différents autant que je voudrai.
Quand je parle de toutes les causes, je n'entends donc pas un nombre de
causes. Et, dès qu'il n'y a plus de nombre, l'impossibilité logique de l'infini
actuel disparaît. Le plus petit intervalle enfermera aussi bien autant de causes
que je voudrai ; mais ce nombre, si je compte les causes, n'est pas hors de moi
qui compte ; et c'est moi-même que je prends au piège dans mon propre
compte, au lieu de saisir la nature. Troisièmement, il y a une ambiguïté pres-
que effrayante dans le terme d'infini, dès que la formation des nombres n'est
plus considérée ; car il désigne aussi bien l'achevé et le parfait que l'inachevé
et l'imparfait. En sorte que je pourrais bien dire que ce devenir infini suffit à
expliquer la chose, parce que l'infini suffit à tout. Mais un mot ne suffit à rien.
Leibniz nous a laissé un argument métaphysique encore plus frappant, en
ce que l'infini ne se forme plus dans le passé, mais porterait présentement la
chose. Un composé, dit-il, n'existe que si ses composants existent. Si ces
composants sont eux-mêmes composés, nous sommes renvoyés à d'autres
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 150
composants et ainsi sans fin. Mais si la chose composée existe, dès maintenant
ses composants existent ; ils sont donc simples, mais absolument simples ; ce
sont des âmes. Le jeu logique n'a rien produit de plus brillant. Toutefois, sans
demander comment des composants simples peuvent ensemble donner la
grandeur, ce qui n'est qu'un autre jeu, je remarque seulement que les choses, si
l'on veut être logique, peuvent bien n'être réellement ni composées ni simples ;
car ce dilemme est de nous ; et il n'est ni prouvé ni vraisemblable que le
langage soit aussi riche que la nature. En voilà assez pour mettre le lecteur en
défiance à l'égard des raisonnements sans perception. Cette précaution est
contre les passions qui prouvent si bien ce qu'elles veulent.
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 151
Livre3 : De la connaissance discursive
Chapitre XI
De la psychologie
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C'est ici qu'il faut traiter de cette science mal définie, car elle est dialec-
tique dans toutes ses parties. L'une, qui traite de l'âme et d'une vie après la
mort, est bien clairement métaphysique ; mais l'autre qui traite de nos pensées
et de nos affections en se fondant sur l expérience, est dominée par les mots
bien plus qu'on ne le croit.
Le mot Je est le sujet, apparent ou caché, de toutes nos pensées. Quoi que
je tente de dessiner ou de formuler sur le présent, le passé ou l'avenir, c'est
toujours une pensée de moi que je forme ou que j'ai, et en même temps une
affection que j'éprouve. Ce petit mot est invariable dans toutes mes pensées.
Je change, je vieillis, je renonce, je me convertis ; le sujet de ces propositions
est toujours le même mot. Ainsi la proposition : je ne suis plus moi, je suis
autre, se détruit elle-même. De même la proposition fantaisiste : je suis deux,
car c'est l'invariable Je qui est tout cela. D'après cette logique si naturelle, la
proposition Je n'existe pas est impossible. Et me voilà immortel, par le
pouvoir des mots. Tel est le fond des arguments par lesquels on prouve que
l'âme est immortelle ; tel est le texte des expériences prétendues, qui nous font
retrouver le long de notre vie le même Je toujours identique. Ainsi ce petit
mot, qui désigne si bien mon corps et mes actions, qui les sépare si nettement
des autres hommes et de tout le reste, est la source d'une dialectique dès qu'on
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 152
veut l'opposer à lui-même, le séparer de lui-même, le conduire à ses propres
funérailles.
Cette idée de l'éternité de la personne, comme de l'identité par-dessus tous
changements et malheurs, est, à dire vrai, un jugement d'ordre moral, et le plus
beau peut-être. J'ajoute que cette forme pure de l'identité est ce qui fait que
nos pensées sont des pensées ; car on ne peut rien reconnaître sans se
reconnaître aussi, ni rien continuer, quand ce ne serait qu'un mouvement
perçu, sans se continuer soi-même aussi. Mais cette remarque fait voir que ce
Je, sujet de toute pensée, n'est qu'un autre nom de l entendement toujours un,
et toujours liant toutes les apparences en une seule expérience. L'investigation
s'arrête là. Car supposer que je perçois deux mordes séparés, c'est supposer
aussi que je suis deux, ce qui, par absurdité, termine tout. Seulement ceux qui
ne font pas attention aux mots se croient en présence réellement d'une chose
impalpable, une, durable, immuable, d'une substance enfin, comme on dit. De
là des formules comme celle-ci : je ne me souviens que de moi-même, qui
sont de simples identités ; car dire que je me souviens, c'est dire autant. Ici les
mots nous servent trop bien ; par réflexion nous sommes trop sûrs du succès ;
l'objet manque, et la pensée n'a plus d'appui. Une des conditions de la
réflexion, c'est qu'il faut trouver la pensée dans son Suvre, et soutenant
l'objet ; mais cette condition est bien cachée ; le premier mouvement est de se
retirer en soi, où l'on ne trouve que des paroles. C'est pourquoi je n'ai pas de
chapitre sur la connaissance de soi ; tout ce livre y sert, mais par voie [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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