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rimailleurs échouent quand ils veulent faire de la prose. En prose, il n'y a pas de chevilles, il faut absolument
dire quelque chose.
- Mais, monsieur, Walter Scott a fait des vers aussi.
- C'est vrai, dit Doguereau qui se radoucit, devina la pénurie du jeune homme, et garda le manuscrit. Où
demeurez-vous ? j'irai vous voir.
Lucien donna son adresse, sans soupçonner chez ce vieillard la moindre arrière-pensée, il ne
reconnaissait pas en lui le libraire de la vieille école, un homme du temps où les libraires souhaitaient tenir
dans un grenier et sous clef Voltaire et Montesquieu mourant de faim.
- Je reviens précisément par le quartier latin, lui dit le vieux libraire après avoir lu l'adresse.
- Le brave homme ! pensa Lucien en saluant le libraire. J'ai donc rencontré un ami de la jeunesse, un
connaisseur qui sait quelque chose. Parlez-moi de celui-là ? Je le disais bien à David : le talent parvient
facilement à Paris.
Lucien revint heureux et léger, il rêvait la gloire. Sans plus songer aux sinistres paroles qui venaient de
frapper son oreille dans le comptoir de Vidal et Porchon, il se voyait riche d'au moins douze cents francs.
Douze cents francs représentaient une année de séjour à Paris, une année pendant laquelle il préparerait de
nouveaux ouvrages. Combien de projets bâtis sur cette espérance ? Combien de douces rêveries en voyant sa
vie assise sur le travail ? Il se casa, s'arrangea, peu s'en fallut qu'il ne fit quelques acquisitions. Il ne trompa
son impatience que par des lectures constantes au cabinet de Blosse. Deux jours après, le vieux Doguereau,
surpris du style que Lucien avait dépensé dans sa première oeuvre, enchanté de l'exagération des caractères
qu'admettait l'époque où se développait le drame, frappé de la fougue d'imagination avec laquelle un jeune
auteur dessine toujours son premier plan, il n'était pas gâté, le père Doguereau ! vint à l'hôtel où demeurait
son Walter Scott en herbe. Il était décidé à payer mille francs la propriété entière de l'Archer de Charles IX, et
à lier Lucien par un traité pour plusieurs ouvrages. En voyant l'hôtel, le vieux renard se ravisa. - Un jeune
homme logé là n'a que des goûts modestes, il aime l'étude, le travail ; je peux ne lui donner que huit cents
francs. L'hôtesse, à laquelle il demanda monsieur Lucien de Rubempré, lui répondit : - Au quatrième ! Le
libraire leva le nez, et n'aperçut que le ciel au-dessus du quatrième. - Ce jeune homme, pensa-t-il, est joli
garçon, il est même très-beau ; s'il gagnait trop d'argent, il se dissiperait, il ne travaillerait plus. Dans notre
intérêt commun, je lui offrirai six cents francs ; mais en argent, pas de billets. Il monta l'escalier, frappa trois
coups à la porte de Lucien, qui vint ouvrir. La chambre était d'une nudité désespérante. Il y avait sur la table
un bol de lait et une flûte de deux sous. Ce denûment du génie frappa le bonhomme Doguereau.
- Qu'il conserve, pensa-t-il, ces moeurs simples, cette frugalité, ces modestes besoins. J'éprouve du
plaisir à vous voir, dit-il à Lucien. Voilà, monsieur, comment vivait Jean-Jacques, avec lequel vous aurez
plus d'un rapport. Dans ces logements-ci brille le feu du génie et se composent les bons ouvrages. Voilà
comment devraient vivre les gens de lettres, au lieu de faire ripaille dans les cafés, dans les restaurants, d'y
perdre leur temps, leur talent et notre argent. Il s'assit. - Jeune [Dans le Furne : Erreur de ponctuation non corrigée par Balzac :
Jeune homme, ...]
homme, votre roman n'est pas mal. J'ai été professeur de rhétorique, je connais l'histoire de
France ; il y a d'excellentes choses. Enfin vous avez de l'avenir.
Etudes de moeurs. 2e livre. Scènes de la vie de province. T. 4. Illusions perdues. 2. Un grand homme de pro
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Illusions perdues. 2. Un grand homme de province à Paris
- Ah ! monsieur.
- Non, je vous le dis, nous pouvons faire des affaires ensemble. Je vous achète votre roman...
Le coeur de Lucien s'épanouit, il palpitait d'aise, il allait entrer dans le monde littéraire, il serait enfin
imprimé.
- Je vous l'achète quatre cents francs, dit Doguereau d'un ton mielleux et en regardant Lucien d'un air
qui semblait annoncer un effort de générosité.
- Le volume ? dit Lucien.
- Le roman, dit Doguereau sans s'étonner de la surprise de Lucien. Mais, ajouta-t-il, ce sera comptant.
Vous vous engagerez à m'en faire deux par an pendant six ans. Si le premier s'épuise en six mois, je vous
payerai les suivants six cents francs. Ainsi, à deux par an, vous aurez cent francs par mois, vous aurez votre
vie assurée, vous serez heureux. J'ai des auteurs que je ne paye que trois cents francs par roman. Je donne
deux cents francs pour une traduction de l'anglais. Autrefois, ce prix eût été exorbitant.
- Monsieur, nous ne pourrons pas nous entendre, je vous prie de me rendre mon manuscrit, dit Lucien
glacé.
- Le voilà, dit le vieux libraire. Vous ne connaissez pas les affaires, monsieur. En publiant le premier
roman d'un auteur, un éditeur doit risquer seize cents francs d'impression et de papier. Il est plus facile de
faire un roman que de trouver une pareille somme. J'ai cent manuscrits de romans chez moi, et n'ai pas cent
soixante mille francs dans ma caisse. Hélas ! je n'ai pas gagné cette somme depuis vingt ans que je suis
libraire. On ne fait donc pas fortune au métier d'imprimer des romans. Vidal et Porchon ne nous les prennent
qu'à des conditions qui deviennent de jour en jour plus onéreuses pour nous. Là où vous risquez votre temps,
je dois, moi, débourser deux mille francs. Si nous sommes trompés, car habent sua fata libelli, je perds deux
mille francs ; quant à vous, vous n'avez qu'à lancer une ode contre la stupidité publique. Après avoir médité
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